jeudi 14 février 2008

La femme est l'avenir de l'homme

de Hong Sang-soo
France / Corée – 2003 – 1H25
avec Yoo Jitae, Kim Taewoo, Sung Hyunah




2008 Ecrire avec, lire pour
Pays de la Loire
un film choisi par François Bégaudeau




Les premières neiges sont tombées sur Séoul. Munho, professeur d'art plastique, retrouve son ami Hunjoon, cinéaste sans le sou qui vient des Etats-Unis. Ils partent sur les traces de Sunhwa, une jeune fille dont ils étaient tous les deux amoureux quelques années auparavant.


La femme est l'avenir de l'homme de Hong Sang-soo © DR


Le cinéma de Hong Sang-soo n'est pas facile d'accès car on n'y trouve rien de ce à quoi un cinéma majoritaire nous a habitué, à commencer par une linéarité ici totalement bannie ou même, simplement, à une "histoire", avec ses repères bien tangibles.

La Femme est l’avenir de l’homme (titre bien entendu emprunté à Louis Aragon), le cinquième film de Hong Sang-soo et son premier en compétition officielle au Festival de Cannes 2004, se situe tout à fait dans la lignée des précédents, respectant presque à la lettre toutes les caractéristiques évoquées.

Certains ont reproché à Hong Sang-soo d'avoir sans cesse tourné le même film. Histoires d'amours contrariées, protagonistes souvent en triangle (deux hommes et une femme), déconstruction et reconstruction totale du récit par des allers-retours passé-présent que rien n'annonce ou par la répétition décalée d'une même scène mais présentée de façon insensiblement différente car correspondant à des visions subjectives, scènes récurrentes d'ivresse en général autour d'un repas, rapports sexuels aussi peu romantiques que frôlant le sordide, toujours expédiés, toujours frustrants, surgissant parfois de ou dans des circonstances plutôt inattendues, fins qui n'en sont pas vraiment.

Les scènes se succèdent comme autant d'épisodes pouvant presque sembler distincts les uns des autres , fausse impression, bien sûr, et ayant pour effet de composer un mouvement général d'ordre finalement très naturaliste.

Chez Hong, les hommes, aussi complexés et empêtrés dans leur maladresse que sexuellement obsédés et pressés, se trompent régulièrement sur les femmes qu'ils aiment. La Vierge mise à nue par ses prétendants réservait à cet égard de savoureux moments, le décalage entre phantasme masculin et réalité féminine provoquant à tous coups le rire du spectateur.

La femme se révèle toujours différente de ce que croyait ses prétendants. Le phénomène est encore observable dans ce film. Sunhwa n'est pas, ou plus, la gentille oie blanche et innocente que Munho et surtout Hunjoon avaient laissée quelques années en arrière. De ce contraste aussi naît l'incompréhension et, bien sûr, les problèmes. Mais le révélateur décisif, matériel si l'on peut dire, est bien l'alcool. Que l'on ne prenne pas cela pour un simple truc de mise en scène ou de dramatisation. Hong en fait un acteur à part entière et permanent de tous ses films, comme il le fut dans sa propre vie. C'est l'alcool qui va lever les inhibitions, délier les langues, lâcher les secrets et entraîner des événements aux conséquences la plupart du temps irrémédiables. L'alcool est si important pour le cinéaste qu'il n'est pas question pour ses acteurs de tricher sur le plateau. Ceux-ci doivent vraiment s'enivrer devant la caméra ! A charge pour le réalisateur de maîtriser ce qui peut l'être.

Les films de Hong Sang-soo sont traversés de moments d'humour même lorsque la trame générale se teinte de mélancolie. Ainsi la scène dans le café où, tour à tour, Hunjoon puis Munho, se retrouvant seuls quelques instants, tentent de racoler de façon identique la serveuse, l'un pour la faire tourner, l'autre poser nue avec les mêmes arguments, s'attirant tous deux des réponses en tout point semblables et les mêmes interrogations de la patronne de l'établissement. Ou bien, plus subtilement, l'attitude du chien de Sunhwa s'éclipsant avec discrétion et de lui-même après que Munho ait demandé à sa patronne de l’"honorer" et que celle-ci ait accepté sans se faire prier.

L'humour se présente par petites touches teintées d'incongruité, parfois d'absurdité. Le refus de Hong d'annoncer au spectateur "Attention, ceci est du passé, ceci du présent, ceci un rêve" débouche de temps à autre sur des instants proches du surréalisme .

La Femme est l’avenir de l’homme est un film réussi, parfaitement maîtrisé et auquel le côté désabusé de son auteur confère une distance et une sorte d'élégance paresseuse et séduisante.

(non signé - source : wikipedia)